Rencontre avec le Prof. Anis Feki, médecin-chef du service de gynécologie et obstétrique de l’hôpital fribourgeois (HFR)

Article, 08.08.2024

Le Prof. Anis Feki est né en Tunisie et y a décroché son doctorat. Il est aujourd’hui médecin-chef de la Clinique de gynécologie et obstétrique de l’hôpital fribourgeois (HFR) en Suisse, mais aussi membre associé de l’Académie nationale de chirurgie en France. En juin dernier, il a été nommé à Copenhague président de la « European Society of Human Reproduction and Embryology » (ESHRE) et devient ainsi le tout premier Suisse à occuper cette fonction. Une carrière et un parcours des plus inspirants qui n’ont jamais éclipsé son lien avec la Tunisie. Rencontre.

Le professeur Anis Feki, médecin-chef de la Clinique de gynécologie et obstétrique de l’HFR Fribourg
Le professeur Anis Feki, médecin-chef de la Clinique de gynécologie et obstétrique de l’HFR Fribourg © La Liberte/Alain Wicht

Quelle fonction assurez-vous au sein de votre établissement hospitalier universitaire à Fribourg en Suisse ?

Je suis le chef du service gynécologie et obstétrique, c’est-à-dire le service qui s’occupe de la femme de sa naissance jusqu’à un âge avancé, avec toutes les pathologies qu’elle peut rencontrer comme les troubles hormonaux, les problèmes de reproduction, les cancers ou les pathologies liées à l’accouchement. Je suis également le chef de département des spécialités chirurgicales. Il y a 5 services dans le département : chirurgie, orthopédie, ORL, ophtalmologie, gynécologie obstétrique. Je suis aussi le président du conseil des départements, équivalent de la direction médicale.

Quelles études avez-vous suivi pour en arriver là ?

J’ai fait mes études au collège Sadiki puis à la Faculté de médecine de Tunis. J’ai obtenu mon doctorat en chirurgie thoracique sur « la place de la chirurgie dans la prise en charge de la tuberculose multi-résistante » avec la mention très honorable et félicitations du jury. Par la suite j’ai quitté la Tunisie dans l’idée de faire de la chirurgie thoracique et c’est là où j’ai changé de route en faisant de la gynécologie obstétrique. En Suisse, j’ai commencé avec le programme de l’OMS et de l’université de Genève sur la santé de la femme et la biologie de la reproduction avant de me poser la question : « Pourquoi ne pas reprendre mon chemin depuis le début ? ». J’ai donc intégré le programme MD-PhD qui permet de faire deux thèses en même temps, un doctorat en médecine et un doctorat en biologie. C’est à l’université de Genève que j’ai obtenu mes doctorats en médecine et en biologie sur le thème de la thérapie génique du cancer de l’ovaire. Cela étant, j’ai réintégré le service de gynécologie obstétrique des hôpitaux universitaires de Genève pour finir ma spécialisation. Durant mon cursus de formation clinique, j’ai été admis à Score, un programme très sélectif du Fonds national de la recherche. Mon projet était autour des cellules souches humaines embryonnaires et m’a permis d’isoler la première lignée de cellules en Suisse ainsi que les premières reprogrammations nucléaires. Jugé par mon chef comme très bon élément, il m’a envoyé à l’hôpital de Saint-Luc, à Bruxelles, pour parfaire ma formation en médecine de la reproduction, la greffe du tissu ovarien et la chirurgie mini-invasive. En 2011, à 39 ans, j’ai été nommé Chef de service de la gynécologie obstétrique à Fribourg.

En quoi le fait d’être Tunisien est un plus dans votre parcours professionnel ? 

Je suis de l’ancienne génération. Travailler sans compter les heures, ça aide. La détermination, ça aide aussi. En Tunisie, la compétition est rude pour avancer. Les premières pierres du socle de cette compétitivité sont ancrées en nous. On a aussi quelques choses en plus : la débrouillardise, ne jamais renoncer devant un obstacle.

Il y a aussi une chose que l’on apprend en Tunisie : le réseautage. 3000 ans d’histoire, l’ouverture sur la Méditerranée, le multiculturalisme font que j’ai pu tisser des liens avec un réseau assez conséquent.

Le professeur Anis Feki à la maternité de l'Hôpital cantonal de Fribourg
Le professeur Anis Feki à la maternité de l'Hôpital cantonal de Fribourg © Charles Ellena

Vous sentez-vous toujours lié à la Tunisie ?

Je reste toujours lié à la Tunisie. Pour la formation, par exemple, car je prends un professeur agrégé ou un médecin assistant hospitalo-universitaire pour une formation poussée de 3 ans en Suisse. Je participe aussi à des formations en Tunisie. On m’appelle aussi pour donner mon avis sur des cas complexes. Je suis un membre actif de la Société Tunisienne de Gynécologie Obstétrique et très actif pour les missions humanitaires. Pendant la crise du COVID-19, avec l’association Ahrar Tounis et le Comité du Rotary inter-pays Suisse-Tunisie, nous avons amené du matériel médical pour aider des hôpitaux. Voilà, j’aide avec ce que je peux, dans la formation médicale, avec les hôpitaux, etc.

En quoi l’approche médicale suisse diffère-t-elle de celle de l’approche tunisienne ?

En termes de recherches et de compétitivité, il y a déjà les moyens mis à disposition. Je ne pense pas que la Tunisie manque de médecins et de jeunes compétents. Il manque plutôt des moyens et la volonté d’investir pour que le tout soit fait dans les règles de l’art : des formations à l’étranger, des échanges, l’encouragement des start-up, etc... La Suisse est aussi caractérisée par sa stabilité, que tout le monde a sa chance quel que soit sa provenance, et ceci est considéré comme une richesse du pays.

Comment pourriez-vous décrire le système médical suisse ?

Ce qui est magnifique en Suisse, c’est l’ouverture. C’est quasiment un des seuls pays en Europe à engager les compétences indépendamment des origines. C’est un pays basé sur l’attractivité et la haute compétence et c’est ce qui fait sa richesse. En France ou en Italie, vous ne trouverez pas de chef de service qui n’est pas français ou italien, alors que la Suisse met les moyens, comme aux Etats-Unis, dans la compétence et le haut niveau d’expertise. Cela crée l’innovation et la valeur ajoutée.

En tant que médecin en Suisse, avez-vous la sensation que votre métier est assez reconnu ?

Je dirais plutôt que je ressens de la reconnaissance par mes pairs, ce qui est important : participer et être dans les comités scientifiques et de formation. Je suis le président du comité de formation européenne en médecine de la reproduction, membre exécutif de collège européen de gynécologie et obstétrique, et récemment président élu de la plus grande société au monde de la santé reproductive de la femme.  Y-a-t-il une meilleure reconnaissance suisse et européenne ? 

Quelques conseils à donner à un jeune diplômé en médecine ?

Ne jamais perdre espoir et travailler beaucoup. La vie professionnelle est un marathon et non un sprint. Je fais toujours la comparaison avec un jeune joueur de football : s’il a un don et s’il ne travaille pas, il obtiendra peut-être des résultats mais il aura une carrière courte.