Échanges scientifiques tuniso-suisses : rencontre avec la Dr. tunisienne Ines El Bini dont le projet a été soutenu par l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne

Article, 06.08.2024

En 2021, le projet de la Dr. Ines Bini de l’Institut Pasteur de Tunis était retenu par le programme Junior Faculty Development dans le cadre de l’initiative Excellence in Africa (EXAF) de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P). La chercheure tunisienne avait préalablement répondu à l’appel à candidature de ce programme aspirant à créer des tandems scientifiques composés d’un professeur en début de carrière au sein d’une institution académique en Afrique et d’un professeur de l’EPFL. Pour le duo tuniso-suisse, la Dr. Bini avait alors choisi son alter ego : le Prof. Hilal Lashuel. Une belle collaboration sur un programme passionnant et innovant qui vise à trouver un traitement contre la maladie de Parkinson dans les venins animaux. Rencontre avec Dr. Ines Bini.

Dr Ines Bini Dhouib lors d'une journée d'échanges scientifiques et académiques entre l’Institut Pasteur de Tunis et l’EPFL
Dr Ines Bini Dhouib lors d'une journée d'échanges scientifiques et académiques entre l’Institut Pasteur de Tunis et l’EPFL © Institut Pasteur de Tunis

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis maître assistante de nationalité tunisienne et chercheure à l’Institut Pasteur de Tunis (IPT). Mes parcours scolaire et universitaire sont entièrement tunisiens, et mon cursus universitaire est essentiellement centré sur les sciences biologiques, de la maîtrise jusqu’au doctorat. En février 2017, j’ai été recrutée en tant que maître-assistante de l’enseignement supérieur à l’IPT. Actuellement, ma recherche est menée dans le domaine magique et fascinant des neurosciences qui permet de réduire l’être humain à un simple amas de neurones. De plus, le champ de recherche en neurosciences est transdisciplinaire et va de pair avec une diversité d'approches dans l'étude des aspects moléculaires, cellulaires, neuroanatomiques, neurophysiologiques ou cognitifs du système nerveux. Ce dernier domaine m’a permis de décrocher différents projets de recherche, notamment celui de l’EPFL.

Comment s’est déroulé le processus de candidature et sélection au Programme Junior Faculty ?

Tout d’abord, le programme « EXAF-JFD » m’a permis de candidater avec d’autres jeunes chercheurs africains afin de progresser dans mes activités de recherche et de valorisation. La sélection a été échelonnée en deux étapes : une première basée sur la pertinence et l’excellence du CV et une deuxième sur l’originalité et l’innovation d’un projet de recherche détaillé qui doit être mené en collaboration avec un professeur de l’EPFL. Dans mon cas, le Pr. Lashuel et moi-même avons proposé un projet qui vise à trouver un traitement contre la maladie de Parkinson à partir de venins animaux. En effet, des études antérieures ont montré que des composés bioactifs purifiés à partir des venins animaux ciblent certains récepteurs impliqués dans le développement et/ou la progression de la maladie.

Comment s’est passée votre collaboration avec le professeur Hilal Lashuel ?

Le professeur Lashuel est un chercheur chevronné très connu qui a longuement travaillé sur les maladies neurodégénératives et essentiellement la maladie de Parkinson. J’ai trouvé en lui une vraie source d’inspiration et de motivation pour la recherche scientifique : une vraie chance de collaborer avec lui ! En effet, jusqu’à ce jour, la collaboration est fructueuse et se déroule dans un cadre collégial conformément au planning prévisionnel. Des séjours réguliers en Suisse ont été effectués par des membres de mon équipe et moi-même.  De l’autre côté, Pr Lashuel a participé, avec d’autres chercheurs de l’EPFL, à l’événement scientifique qui a eu lieu à l’IPT au mois de septembre 2022 afin de promouvoir des synergies et des collaborations dans le domaine des sciences biomédicales entre l’EPFL et des laboratoires de recherche en Tunisie.

Concernant, la concrétisation de ce projet, une production scientifique est en phase de finalisation par les deux équipes.

Via ce programme je serai en mesure de développer et faire progresser les neurosciences en Tunisie, d’assurer une formation diplomante aux jeunes chercheurs au début de leurs carrières et d’ouvrir des opportunités d’embauche même temporaires pour les docteurs chômeurs. Ce programme m’a permis de me libérer de la situation d'exécutante de projets et de me consacrer à la conception et la planification permettant d’atteindre une plus grande efficacité.

Dans le domaine scientifique, que peut apporter la Suisse à la Tunisie et vice-versa ?

La science peut jouer le rôle de langage commun à toutes les nations. En effet, les membres de la communauté scientifique de deux pays peuvent mener des recherches scientifiques d’envergure internationale dans plusieurs domaines. La Tunisie est connue pour son potentiel de chercheurs et la qualité des travaux engagés et des publications scientifiques. C’est une voie importante de coopération à promouvoir entre la Tunisie et la Suisse.

De notre côté, cette coopération permet de fixer des ambitions à la recherche tunisienne de se hisser et de se maintenir à un niveau international reconnu ainsi que les formations et le transfert de la technologie qui vont inciter le développement des capacités scientifiques endogènes et la création d’une masse critique de chercheurs compétitifs au niveau international. Elle permet également l'intégration de chercheurs tunisiens dans des réseaux scientifiques performants dans le cadre de coopérations tuniso-suisses.

Du côté suisse, cette coopération permet une ouverture sur l’Afrique en général et plus spécifiquement sur les pays du Maghreb, entre autres la Tunisie. Bien évidemment, les relations entre les deux pays dans le domaine de la recherche sont bonnes mais demeurent jusqu’ici plutôt modestes en terme quantitatif. En effet, la collaboration entre des chercheurs suisses et tunisiens s’inscrit essentiellement dans le contexte des programmes et cadres de recherche européens. Il est donc temps de renforcer les collaborations bilatérales en recherche scientifique, ce qui permet d’approfondir les relations tuniso-suisses ! 

Quels sont vos prochains projets ?

Premièrement, réussir et valoriser ce projet et, bien sûr, honorer mes engagements et donner une belle image de mon pays ; développer une véritable capacité de recherche qui passe par la création des conditions propices à la stabilisation et l'enracinement des jeunes chercheurs par l’acquisition d'équipements adéquats et performants et l’amélioration des conditions de travail en recherche scientifique ; et enfin, évoluer progressivement vers la constitution d’un pôle d'excellence en neuroscience en Tunisie.

Selon vous, quels rôles les femmes ont-elles à jouer aujourd’hui dans le recherche en général et en Afrique en particulier ?

Le combat des femmes pour entrer de plein pied dans le monde de la connaissance a été long et difficile. Aujourd’hui, les femmes jouent un rôle essentiel pour surmonter les plus grands défis dans la recherche scientifique auxquels nous sommes confrontés quotidiennement.  Certes, les inégalités concernant les femmes dans les sciences sont encore très présentes en Afrique, mais en Tunisie la situation est satisfaisante. En effet, les femmes sont largement représentées avec plus de 60% de l’effectif dans des formations scientifiques de l’université et dans les laboratoires de recherche. 

Je conseille aux jeunes chercheures d’avoir confiance en elles, de persévérer, d’être curieuses et ambitieuses, et surtout de suivre l’exemple d’une femme inspirante. Heureusement, on en a beaucoup en Tunisie !