Article, 15.05.2013

Berne le 17.04.2013

Les inégalités entre femmes et hommes discréditent la société dans son entier et représentent une entrave tenace au développement. Depuis 10 ans, la DDC a mis en place une politique qui traite la question du genre de manière transversale dans tous ses programmes.

Annemarie Sancar faisait partie de la délégation suisse représentée à la Commission de la condition de la femme de l’ONU sur le thème des femmes en milieu rural en mars 2012. Elle pose ici devant les locaux de l’ONU à New York. (

Madame Sancar, en tant qu’experte du réseau genre, pourriez-vous nous expliquer quels instruments ont été développés pour faire de la thématique genre quelque chose d’inhérent aux projets de la DDC ?

En 2003, la direction de la DDC adoptait sa politique sur l’égalité hommes-femmes et élaborait parallèlement des instruments pour que les objectifs de cette politique soient mis en pratique durablement. Le «Gender Tool Kit» aide le personnel de la DDC et les organisations partenaires à effectuer des analyses différenciées des contextes selon le genre, à formuler des objectifs « genre »pertinents et à mettre au point des indicateurs. Tous ces éléments permettent d’assurer une approche intégrée hautement qualitative de l’égalité entre hommes et femmes. En outre, du matériel spécifique pour les programmes eau, éducation, résolution de conflits, aide humanitaire a été développé pour y concrétiser efficacement la volonté politique de la coopération au développement de promouvoir l’égalité entre les sexes. Les lignes directrices pour une culture d’entreprise fondée sur l’égalité entre les sexes, au sein de la DDC et dans les bureaux de coopération, ont également joué un rôle important. Durant plusieurs années, des formations ont été proposées. Aujourd’hui, ce sont principalement des réunions de travail adaptées aux besoins régionaux et thématiques qui sont organisées. Elles ont pour objectif une coopération au développement respectueuse des différences entre hommes et femmes dans des contextes spécifiques et avec des partenaires locaux.

Qu’est-ce que le «Gender mainstreaming» exactement ?

La notion de «Gender mainstreaming» (GM) implique d’une part que la perspective du genre soit intégrée dans les analyses des effets des activités de la DDC. D’autre part, les projets doivent se concevoir comme un instrument visant à promouvoir l’égalité entre hommes et femmes (thème transversal). Le GM intervient dans des projets portant sur l’autonomisation des femmes là où les discriminations contre les femmes sont particulièrement marquées et ancrées structurellement (activités spécifiques). Le GM consiste également à promouvoir l’égalité entre hommes et femmes dans les structures et la culture d’entreprise. Cela suppose toutefois que chaque contexte d’intervention soit analysé au plus près pour déterminer quelle approche GM est judicieuse et susceptible de conduire à l’objectif d’égalité entre hommes et femmes. Ce faisant, il est important qu’un encadrement systématique soit proposé et que les conséquences sur les femmes et les hommes soient étudiées, à tous les niveaux et en concertation avec les acteurs locaux.

La question de l’égalité des sexes recouvre un large champ d’action : gouvernance, droit, éducation, emploi, économie, accès aux ressources, violences, santé, famille. Parmi ces divers aspects, quels sont les plus importants à vos yeux ? Lesquels offrent le plus de chances de changement des mentalités?

Lorsque l’on s’adresse aux individus en tant que citoyens, en tant que personnes en formation, exerçant une activité professionnelle ou créatives, en tant que personnes qui communiquent ou en tant que membres actifs de la société, des changements interviennent qui nécessitent des efforts d’adaptation de la part de celles et ceux qui sont concernés. Le GM a donc sa raison d’être partout. Un grand nombre d’interventions n’ont cependant pas d’effets directs sur les individus mais sur les institutions, les lois, les budgets. Là aussi, le GM peut s’avérer décisif. Lorsque, par exemple, des coupes budgétaires sont imminentes au sein du ministère de la santé et menacent surtout les petits services ambulatoires décentralisés, cela touche directement les femmes. Ces dernières ressentent également plus fortement que les hommes les effets indirects de cette mesure. En effet, en raison des rôles qui leur sont traditionnellement assignés, la plupart d’entre elles prendront elles-mêmes en charge ces prestations ne faisant plus partie des services publics. Les processus macroéconomiques ont un rôle déterminant dès lors que les objectifs de la politique sur l’égalité hommes-femmes sont pris au sérieux. C’est la raison pour laquelle nous avons intégré la perspective genre dans la budgétisation des programmes et dans la politique des dépenses de la DDC.

Sur le terrain, la DDC soutient des organisations locales qui s’engagent pour l’égalité entre hommes et femmes. Comment fonctionne cette collaboration ? La stratégie utilisée pour la sensibilisation à la problématique femme/homme est-elle adaptée selon le contexte ?

Ainsi que je l’ai déjà mentionné, il est indispensable de procéder à une analyse contextuelle. Faute de quoi, il est difficile de comprendre les raisons qui sous-tendent les inégalités entre les sexes et d’amener de manière ciblée un partage équilibré du pouvoir entre hommes et femmes à quelque niveau que ce soit. Il convient également de dresser un inventaire des acteurs locaux, des ONG, des groupes de femmes, de tous les projets, qu’il s’agisse d’initiatives locales ou de travaux universitaires. Il sera alors possible de tirer parti tantôt d’une histoire, tantôt d’expériences, tantôt d’un savoir-faire, tantôt de difficultés. C’est là le point de départ du travail.

Les programmes de la DDC ont-ils déjà joué un rôle essentiel dans les changements de mentalité concernant l’égalité des sexes ? Pourriez-vous nous décrire un exemple concret ?

Le projet «Femmes et beurre de karité» est un parfait exemple du changement de mentalité qui s’est opéré grâce à une action menée conjointement par l’Entraide protestante suisse (EPER), Pain pour le prochain et la DDC. L’objectif premier de ce projet ciblant des citoyens ordinaires, plus précisément des femmes, était d’accroître les revenus des femmes dans la région de Nahouri (Burkina Faso) en encourageant la production de beurre de karité et en l’améliorant tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif. Le beurre de karité est un produit d’utilisation quotidienne destiné à de multiples usages, mais sa production est très laborieuse. Au total, 44 groupes de femmes issues de 30 villages, soit 1300 femmes y ont pris part. Il s’agissait d’augmenter la productivité grâce à de nouvelles techniques et technologies. Quant au renforcement de la sécurité alimentaire, c’est l’ouverture à de nouveaux marchés locaux qui a été mise au premier plan. Le projet visait également l’acquisition de compétences et le renforcement des associations de femmes dans les domaines de l’organisation, de la gestion et de la commercialisation. Il était question par ailleurs que la plus-value profite à la région et que les femmes aient facilement accès aux crédits. Des négociations ont par conséquent été entreprises avec la caisse d’épargne locale et un fonds de garantie de l’EPER a été mis en place. Des fonds publics ont également permis de réaliser des programmes d’alphabétisation. Les groupes de femmes, intervenant au titre de partenaires de l’EPER, Pain pour le prochain et la DDC, se sont regroupés en une association faîtière: Lougouzena. Le projet a fortement contribué à renforcer l’estime de soi et l’autonomie des femmes. Elles y ont vu une valorisation et en parlent avec fierté: «Les revenus me permettent de payer non seulement les aliments mais aussi les frais de scolarité et les livres pour mes enfants», a déclaré Mariam Idogo, productrice de karité. Le projet a certainement consolidé la position des femmes dans la mesure où il a contribué de manière déterminante à l’alphabétisation et à l’acquisition de compétences. Les femmes sont conscientes du rôle important qu’elles jouent dans la société et elles se sont professionnalisées dans leurs domaines de compétences. Elles ont développé des statuts pour leurs organisations et transmettent leurs expériences à d’autres femmes dans le cadre des réseaux qu’elles ont formés.

Et à la centrale de la DDC, comment l’égalité entre femmes est hommes est-elle promue ?

L’échange au sein de réseaux est important : les gens apprennent les uns des autres et prennent part régulièrement à des comités d’opération où des décisions sont prises sur de nouveaux projets. Cela fonctionne très bien et, à l’occasion du rapport que nous publions chaque année, les différentes sections de la DDC viennent discuter avec nous des résultats qui les concernent et des éventuelles améliorations à apporter. Dans le cadre de la coopération bilatérale, les débats sont particulièrement intéressants: nous cherchons à savoir comment mieux intégrer la perspective genre, du point de vue qualitatif, mais nous abordons aussi les questions qui se posent, par exemple, en matière de développement rural, de promotion économique, de formation professionnelle ou encore dans les processus de démocratisation.

On sait que, si le nombre des collaborateurs de la DDC est paritaire, les postes à responsabilités sont pour la plupart occupés par des hommes. Comment remédier à cela ?

Il faut mettre en place des horaires de travail flexibles, des possibilités de télétravail, d’emploi à temps partiel notamment, autrement dit tout ce qu’une entreprise peut faire pour instaurer l’égalité. C’est ce qui ressort également des résultats d’une enquête indépendante. Fréquemment cependant, il faut essuyer des revers. Il est regrettable que les hommes soient encore très rares à reconnaître les avantages que pourrait leur apporter le travail à temps partiel. Il n’y a pas d’inégalités salariales ; en revanche, les jeunes femmes font état de difficultés pour concilier la garde des enfants avec leur activité professionnelle à la DDC alors que, chez les hommes, cette problématique n’entre même pas en ligne de compte. L’institution doit beaucoup s’investir pour parvenir à une égalité entre hommes et femmes au moyen de mesures visant à concilier vie familiale et vie professionnelle. Peut-être serait-il judicieux d’introduire provisoirement un quota pour les comités de cadres ? J’ai moi-même un avis partagé sur la question des quotas. Une chose est certaine en tout cas : il faudrait qu’au sein des délégations qui partent sur le terrain, la politique sur l’égalité hommes-femmes soit appliquée de manière bien plus cohérente. Nous sommes très mal positionnées, ne fût-ce que dans la prévention des conflits, domaine dans lequel une résolution onusienne réclame l’intégration des femmes dans les corps d’intervention, les négociations et les missions de paix. Les hommes sont trop majoritairement représentés dans les délégations, surtout lorsqu’il est question de thèmes globaux.

Selon vous, quelles sont les grandes victoires de ces 10 dernières années ?

La qualité des discussions et l’engagement des interlocuteurs et interlocutrices des bureaux sur les questions de genre lors des réunions «Face2Face» organisées tous les deux ans montrent que des choses ont évolué à la centrale également. Je suis ravie de constater que de nombreux hommes, conscients de la valeur ajoutée d’une société où règne l’égalité entre hommes et femmes, s’intéressent aux questions de genre, participent aux efforts dans ce domaine et encouragent une prise de conscience de leurs collaboratrices et collaborateurs. Les évaluations sur le terrain montrent aussi des évolutions, même si elles ne sont que sporadiques, pas véritablement systémiques et bien trop dépendantes de la gestion des bureaux de coopération ou des organisations partenaires.

Et quelles ont été les grandes déceptions ?

Ce que j’ai évoqué plus haut concernant les échelons supérieurs est bien sûr décevant. Mais je dois dire tout de même que la pression se fait plus forte au niveau international, que les courants conservateurs ont repris du poil de la bête et qu’il est très important que les ONG de femmes, qu’elles soient organisées de manière locale, régionale ou transnationale, aient la marge de manœuvre et les ressources nécessaires pour défendre les droits des femmes. Ce dernier point serait un complément essentiel des efforts déployés par les Etats et les agences onusiennes en matière de «Gender mainstreaming». Il faut des ressources, du personnel qualifié et une expertise. Le réseau est sans conteste une plateforme appropriée pour organiser, élargir et exploiter les connaissances sexospécifiques. Toutefois, la direction de la DDC doit être prête à s’appuyer sur ces connaissances, à en tirer des enseignements, même si cela demande parfois du courage de s’engager en faveur de l’égalité entre les sexes lorsque tant de sièges sont occupés par des hommes. Elle doit défendre la politique d’égalité hommes-femmes pour ce qu’elle est, à savoir un instrument important pour la réalisation du mandat légal qui nous a été assigné: lutter contre la pauvreté.

A votre avis, sur quoi la politique genre de la DDC devrait-elle se concentrer ces 10 prochaines années ?

Sur la formation continue, les ressources, la détermination de priorités thématiques là où les discriminations sexospécifiques sont flagrantes, puis le renforcement de l’expertise locale et le soutien à des réseaux transnationaux qui ont les moyens de s’impliquer avec professionnalisme dans les débats internationaux pour favoriser un développement durable autrement dit respectueux des différences entre hommes et femmes.

Dernière mise à jour 19.07.2023

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